Interview Joe

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J.P. : Plusieurs de tes morceaux ont des paroles incompréhensibles.

Joe : Je ne supporte pas d’être compris.

J.P. : En train ?

Joe : Les voyages sont une perte de temps, on vit partout de la même façon.

J.P. : D’autre phobies ?

Joe : Tout me pose un problème. On a tous peur de devenir fou, d’être assistés, et pourtant, on sait cette décadence inéluctable, avec l’âge. C’est le sujet de : « mes meilleurs amis sont morts ».
Il y a aussi la solitude positive. Dans « les fantômes », j’ai pensé à la bonne conscience germanique, cette esthétique qu’on retrouve dans la mode.

J.P. : Y a-t-il une scène là d’où tu viens ?

Joe : Non.

J.P. : Qu’écoutes-tu ?

Joe : Delalande et Couperin pour la musique, Stooges ou Suicide pour le bruit.

J.P. : Cette vague bruitiste, justement ? Sonic Youth, Jesus & Mary Chain ?

Joe : J’étais aux US, et MTV censurait leurs clips, pareil pour Jesus & M.C., bien qu’eux n’aient aucune opinion politique.
Ils devraient faire des simples comme dans les années 60 plus souvent, et moins d’albums chiants, faire aussi des reprises, et devraient tenter des morceaux longs.
Genesis, avec The lamb, et Musical box étaient en plein dans ce courant là.
Mozart aurait sans doute joué du rock. Il est impossible de faire autre chose avec une guitare électrique. Et si une note répétée à l’infini donne du plaisir, alors cette musique a plus de valeur qu’une myriade exécutée avec des timbres différents.
Il est faux de dire que les musiques orchestrales sont supérieures, comme en peinture, il y a des écoles, et Vivaldi et Venise ont apporté le plus au monde.

J.P. :Pourquoi t’aimes pas la télé ? Moi, c’est ma source d’inspiration.

Joe : Je n’y passe pas, donc c’est mauvais. C’est une télé de vieux grabataires qui ne retrouvent plus la télécommande (sans doute cachée dans le tiroir ?). Une fois qu’on y est, on invite ses copains, on donne son avis sur tout, on ne sait rien.
Il y a une évolution générale, de la Corée du Nord à l’Allemagne, Les médias sont cadenassés. Sauf peut-être en Espagne avec TVE (une étrange lucarne envoie des images animées consternantes d’un sketch qui se voudrait drolatique).

J.P. : Que penses-tu du comique ?

Joe : Il est plus difficile de faire du rire que des pleurs. Les situations de la vie quotidienne donnent plus à rire que l’invention.
Les coulisses du pouvoir restent excitantes car cachées. On s’en fait une idée romantique : avec qui coucher pour arriver ? Et après tant de compromis, que reste-t-il à dire ?

J.P. : Es-tu jaloux de l’argent facile ?

Joe : Il est dans le sport ou la politique. Tout ce qui est subventionné est mauvais. Le piston, c’est là qu’est le réel danger de perte d’efficacité.

J.P. : Et la personnalité ?

Joe : Il n’en faut plus aujourd’hui, car l’idéal pour une société industrialisée, c’est l’interchangeable, dans un même rôle. Le fond du catalogue, voilà le meilleur actuel.

J.P. : L’écriture ?

Joe : En France, on a raté deux générations d’écrivains modernes. De nos jours, il n’y a plus rien.
Pour la musique et le ciné, c’est pareil. Le marché continental est dominé par les structures commerciales anglo-saxonnes.
Donc elles vont servir à vendre avant tout de l’Angliche, du rosbif, et maintenant, le ragoût qu’ils nous servent est indigeste, et froid en plus.
Aux USA, ils demandent dans quelle catégorie codifiée tu rentre. Les jeunes écoutent les même vieilleries que leurs parents, ils sont nostalgique des années pré SIDA. Tout était beau à l’époque, à part le Vietnam.

J.P. : Et la scène INDE ?

Joe : Elle a toujours existé : Sun, Elektra servaient pour les inclassables. En Europe, elle n’est qu’une plaisanterie minable, nouvelle copie de leurs modèles étrangers. Qu’ils y aillent.

J.P. : La musique du monde ?

Joe : Ne cherche qu’à vendre, avec des tempos trop lents, des chansons molles.

J.P. : Voilà ! Désormais «on n’a même plus le temps de rien se dire». Tel pourrait être le mot de la fin de cette entrevue. Mais il s’agit d’une phrase tirée d’un des textes de Joe.
Le connaissant un peu, je sais qu’il n’apprécie guère les copies, et leur préfère les créations. Les seules garantes du renouvellement culturelle et de la vie d’une langue… Française. Cette règle étant également valable pour toutes les créations de l’esprit.
Le coté quelque peu philosophique que prend cette conclusion (quoique ne comportant rien d’autre que des hypothèses) vient du fait qu’il est impossible de ne pas succomber à un désir de changer les choses l’ordre établi, après un séjour prolongé en compagnie du chien de la concierge.

Propos recueillit le 31 janvier 1996

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